Continuons notre exploration des peintures canines réalisées par les peintres officiels de cour maintenant que nous savons que Versailles accueillait de nombreux chiens et pas seulement pour la chasse.
“Tu ne seras jamais qu’un peintre de chiens!”
Cette phrase lancée par son maître, l’éminent portraitiste Nicolas de Largillière (1656-1746) à Oudry apparaît plutôt comme une condamnation que comme une prophétie glorieuse. L’artiste, fils d’un peintre modeste marchand de tableaux parisien ne se destinait en effet pas à la peinture animalière. En 1753, âgé de 67 ans, il est professeur à l’Académie royale de peinture et son mécène est l’intendant des finances mais il n’est pas le peintre favori de la cour. Pourtant, il est aujourd’hui encore l’un des plus grands représentants de l'art animalier français (je lui consacrerai un article prochainement).
Deux toiles qui se répondent
Deux toiles de Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) retiennent forcément l’attention du passionné de canidés :
“Chienne allaitant ses petits” et “Lice blanche allaitant ses six petits”se répondent de façon intéressante.
La lice peinte en 1752 est présentée au Salon de 1753 et cette huile sur toile de plus d’un mètre de haut et de large signe un tournant remarqué.
Notons d’abord que “lice” n’est pas le nom propre de l’animal comme j’ai pu le lire, ce terme est un nom commun qui désigne la femelle du chien de chasse. Reproductrice de la meute, elle est dans sa mission de prolonger la race. On dit qu’une “lice est nouée” quand elle attend des chiots.(1) D’ailleurs sa queue a été écourtée comme les braques. Elle est donc tout aussi anonyme que sa version suivante intitulée “Chienne allaitant ses petits” commandée par le marquis de Marigny en plus petit 66x81 cm.
Petite analyse
L’animal apparaît comme
un modèle de dévouement car plusieurs éléments font
écho aux tableaux de la nativité : la scène située dans une écurie rappelle l’étable des scènes chrétiennes et l’éclairage par le soleil évoque la lumière divine comme dans
la Sainte Famille de Rembrandt.
La blancheur des petits dormeurs peut même s’associer à des petits anges chrétiens.
D’un point de vue artistique, cette oeuvre marque une rupture car Oudry va privilégier l’instinct naturel et négliger la mise en scène artificielle retenue par son prédécesseur Desportes.
D’un point de vue sociologique, ce qui m’intéresse le plus c’est
l’humanisation de cette scène sans tomber dans l’anthropomorphisme. L’expression de vigilance protectrice de la chienne et l’innocence des chiots endormis ou têtant feront que
les visiteurs de l’exposition de 1753 appelleront cette toile “la Mère”. Ceci vient trancher avec la froideur du titre anonyme de la version suivante “Chienne allaitant ses petits”.
L’anecdote rapportée par Diderot
Dans son ouvrage consacré au Salon, Diderot nous raconte comment
le baron d’Holbach ayant eu un coup de coeur pour cette toile a offert au peintre une
reconnaissance sociale bien plus efficace que l’avis des “petits marquis” de cour et de la Pompadour.
« C’est là que cette si belle chienne d’Oudry qui décore à droite notre synagogue attendait le baron notre ami. Jusqu’à lui, personne ne l’avait regardée. Personne n’en avait senti le mérite ; et l’artiste était désolé. Mais, mon ami, ne nous refusons pas au récit des procédés honnêtes. Cela vaut encore mieux que la critique ou l’éloge d’un tableau. Le baron voit cette chienne, l’achète, et à l’instant voilà tous ces dédaigneux amateurs furieux et jaloux. On vient ; on l’obsède ; on lui propose deux fois le prix de son tableau. Le baron va trouver l’artiste et lui demande la permission de céder sa chienne, à son profit. Non, monsieur. Non, lui dit l’artiste.
Je suis trop heureux que mon meilleur ouvrage reste à un homme qui en connaît le prix. Je ne consens à rien. Je n’accepterai rien ; et ma chienne vous restera. »
Quel bonheur pour un artiste de pouvoir choisir son acheteur au mépris du prix d’achat et en sachant que, là au moins, l’oeuvre sera appréciée sans désir de spéculer sur celle-ci ou sur la cote de l’artiste! C’est un choix qui peut condamner à la pauvreté mais qui montre la profondeur de la relation entre un artiste et son collectionneur. J'ai la chance d'avoir quelques acheteuses ont cet état d'esprit et je les en remercie.
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Si toi aussi, tu veux donner à ton chien l’immortalité de l’art , tu as deux possibilités :
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Aujourd’hui, la toile est au
musée de la chasse et de la nature à Paris aux côtés de
Puppy
de Jeff Koons! Découvre ces pièces grâce à une
photo de Julien Spiewak
sources documentaires :
https://www.festivaldelhistoiredelart.fr/jean-baptiste-oudry-le-roi-des-animaux/
Denis Diderot, Salons, 1767, DPV XVI 60.
Robert Rosenblum, Le chien dans l’art (du chien romantique au chien post moderne)