Photo du château de Montculot où Lamartine passa son enfance et dont il hérita en 1826.
Crédit photo : Par François Collard — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=6940624
En fille de Bourgogne, je ne pouvais pas passer sous silence un texte précieux de Lamartine. J'ai d'ailleurs vécu une partie de ma vie près de château de Montculot où il passait son enfance (à Urcy) (21). Le poète mâconnais a su dire en des mots sensibles sa relation au chien et sa préférence pour cet animal face à certains humains. Le mouvement romantique s’inscrit en effet en faux face à la conception de l’animal-machine due à la métaphysique de Descartes qui -deux siècles auparavant- prétendait que l’animal n’avait pas de conscience et n’était qu’un assemblage mécanique de pièces. Pour l’anecdote, j’aime à penser que le premier combattant de cette horrible théorie, nommé Etienne de Bonnot de Condillac était un de mes lointains parents. En effet, l’auteur empiriste du Traité des animaux portrait mon nom de jeune fille!
Mais lisons plutôt cette véritable ode au chien écrite par Alphonse de Lamartine dans Jocelyn.
"Le chien seul en jappant s’élança sur mes pas,
Bondit autour de moi de joie et de tendresse,
Se roula sur mes pieds enchaînés de caresse,
Léchant mes mains, mordant mon habit, mon soulier,
Sautant du seuil au lit, de la chaise au foyer,
Fêtant toute la chambre, et semblant aux murs même,
Par ses bonds et ses cris, annoncer ce qu’il aime ;
Puis, sur mon sac poudreux à mes pieds étendu,
Me couva d’un regard dans le mien suspendu.
Me pardonnerez-vous, vous qui n’avez sur terre
Pas même cet ami du pauvre solitaire ?
Mais ce regard si doux, si triste de mon chien
Fit monter de mon cœur des larmes dans le mien.
J’entourai de mes bras son cou gonflé de joie ;
Des gouttes de mes yeux roulèrent sur sa soie :
« Ô pauvre et seul ami, viens, lui dis-je, aimons-nous !
Partout où le ciel mit deux cœurs, s’aimer est doux ! »
Hélas ! rentrer tout seul dans sa maison déserte,
Sans voir à votre approche une fenêtre ouverte,
Sans qu’en apercevant son toit à l’horizon
On dise : « Mon retour réjouit ma maison ;
Une sœur, des amis, une femme, une mère,
Comptent de loin les pas qui me restent à faire ;
Et dans quelques moments, émus de mon retour,
Ces murs s’animeront pour m’abriter d’amour ! »
Rentrer seul, dans la cour se glisser en silence,
Sans qu’au-devant du vôtre un pas connu s’avance,
Sans que de tant d’échos qui parlaient autrefois
Un seul, un seul au moins tressaille à votre voix ;
Sans que le sentiment amer qui vous inonde
Déborde hors de vous dans un seul être au monde,
Excepté dans le cœur du vieux chien du foyer
Que le bruit de vos pas errants fait aboyer ;
N’avoir que ce seul cœur à l’unisson du vôtre,
Où ce que vous sentez se reflète en un autre ;
Que cet œil qui vous voit partir ou demeurer,
Qui sans savoir vos pleurs vous regarde pleurer,
Que cet œil sur la terre où votre œil se repose,
À qui, si vous manquiez, manquerait quelque chose.
Ah ! c’est affreux peut-être, eh bien ! c’est encor doux !
Ô mon chien ! Dieu seul sait la distance entre nous ;
Seul il sait quel degré de l’échelle de l’être
Sépare ton instinct de l’âme de ton maître ;
Mais seul il sait aussi par quel secret rapport
Tu vis de son regard et tu meurs de sa mort,
Et par quelle pitié pour nos cœurs il te donne,
Pour aimer encor ceux que n’aime plus personne.
Aussi, pauvre animal, quoique à terre couché,
Jamais d’un sot dédain mon pied ne t’a touché ;
Jamais, d’un mot brutal contristant ta tendresse,
Mon cœur n’a repoussé ta touchante caresse.
Mais toujours, ah ! toujours en toi j’ai respecté
De ton maître et du mien l’ineffable bonté,
Comme on doit respecter sa moindre créature,
Frère à quelque degré qu’ait voulu la nature.
Ah ! mon pauvre Fido, quand, tes yeux sur les miens,
Le silence comprend nos muets entretiens ;
Quand, au bord de mon lit épiant si je veille,
Un seul souffle inégal de mon sein te réveille ;
Que, lisant ma tristesse en mes yeux obscurcis,
Dans les plis de mon front tu cherches mes soucis,
Et que, pour la distraire attirant ma pensée,
Tu mords plus tendrement ma main vers toi baissée ;
Que, comme un clair miroir, ma joie ou mon chagrin
Rend ton œil fraternel inquiet ou serein ;
Révèle en toi le cœur avec tant d’évidence,
Et que l’amour dépasse encor l’intelligence ;
Non, tu n’es pas du cœur la vaine illusion,
Du sentiment humain une dérision,
Un corps organisé qu’anime une caresse,
Automate trompeur de vie et de tendresse !
Non ! quand ce sentiment s’éteindra dans tes yeux,
Il se ranimera dans je ne sais quels cieux.
De ce qui s’aima tant la tendre sympathie,
Homme ou plante, jamais ne meurt anéantie :
Dieu la brise un instant, mais pour la réunir ;
Son sein est assez grand pour nous tous contenir !
Oui, nous nous aimerons comme nous nous aimâmes.
Qu’importe à ses regards des instincts ou des âmes ?
Partout où l’amitié consacre un cœur aimant,
Partout où la nature allume un sentiment,
Dieu n’éteindra pas plus sa divine étincelle,
Dans l’étoile des nuits dont la splendeur ruisselle
Que dans l’humble regard de ce tendre épagneul
Qui conduisait l’aveugle et meurt sur son cercueil !!!
Viens, viens, dernier ami que mon pas réjouisse,
Ne crains pas que de toi devant Dieu je rougisse ;
Lèche mes yeux mouillés, mets ton cœur près du mien,
Et, seuls à nous aimer, aimons-nous, pauvre chien !"